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le blog de Stéphane Ruscher

Apple dans le collimateur du DOJ et de l’UE : il y n’y a pas d’app pour ça, mais on aurait pu l’éviter

En quelques semaines, Apple s’est retrouvé dans les petits papiers de la Commission Européenne et du Département de la Justice américain pour ses pratiques monopolistiques. Et ça n’est pas faute de les avoir prévenus…

Lorsqu’Apple a dévoilé son plan pour répondre aux recommandations du DMA, la loi européenne sur la régulation des places de marché numériques, certains commentateurs zélés se sont empressés de dégainer le bon vieil argument de la méchante Union Européenne qui en a après les gentils GAFAM américains, avec Spotify dans le rôle du conseiller sournois qui murmure à l’oreille des régulateurs, tel Grima au roi Theoden dans le Seigneur des Anneaux. On va déjà oublier cette idée : d’une part, ce serait omettre le rôle de l’UE pour faire pencher la balance en faveur de Microsoft dans son rachat d’Activision Blizzard King. Et surtout, pour l’anti américanisme primaire, on repassera : le DOJ vient de lancer une procédure contre Apple. Alors évidemment, il y aura bien quelques libertariens pour qualifier l’exécutif américain actuel d’anti patriotique, mais on ne va pas parler de casquettes rouges ici, merci.

Qu’est ce qui est reproché à Apple ? Pas tout à fait la même chose que ce qui fait le cœur du DMA européen. Celui-ci se concentre principalement sur la distribution des applications et sur le rôle de “gatekeeper” des plateformes. Le DMA a pour but d’obliger Apple (mais aussi Google, Meta ou Microsoft) de respecter des règles qui garantissent un traitement équitable de ses concurrents. Pour ce qui est d’Apple, la cible est l’App Store. Son rôle de plateforme unique pour installer des applications sur iPhone, l’impossibilité d’utiliser des systèmes de paiement alternatifs, l’interdiction pour les partenaires – et de plus en plus souvent concurrents – d’Apple pour promouvoir d’autres formules d’abonnement sur leur site, ou l’obligation de passer par ce système qui prélève systématiquement 30 ou 15% des revenus pour aller dans la poche de Cupertino. Un exemple concret : Grima, pardon, Spotify ne peut pas indiquer à ses utilisateurs potentiels que l’on peut s’abonner au service de streaming via le web. C’est embêtant, et ça a valu à Apple une petite amende d’1,88 milliards d’euros en parallèle. Oof, indeed.

Le dossier du DOJ, dont j’avoue, je n’ai pas lu l’intégralité du rapport, s’attarde aussi sur des problèmes de concurrence et de verrouillage de l’utilisateur mais en particulier sur plusieurs cas, parfois en rapport avec le DMA, parfois pas :

  • La messagerie : Apple découragerait l’usage de services de messagerie instantanée alternatifs à son iMessage
  • Les montres connectées : Apple utiliserait l’Apple Watch pour verrouiller les utilisateurs dans son écosystème et offrirait une expérience dégradée pour les montres tierces
  • Les portefeuilles numériques : Apple Pay a le monopole du paiement mobile sur iPhone, et c’est d’ailleurs un des points sur lesquels le DMA va les pousser à ouvrir le NFC de l’iPhone dans l’UE

Courage

On connaît la rengaine : “Apple font ce qu’ils veulent, c’est leur plateforme, s’ils ne sont pas contents ils n’ont qu’à aller sur Android”… Je ne suis pas fan des régulations par des acteurs qui, sans tomber dans l’écueil du “ils n’y connaissent rien”, jugent parfois mal les implications et les enjeux de leurs décisions. Le gentil Spotify se comporte également en despote avec les artistes indépendants, et ça, l’UE s’en lave les mains. Il y a sans doute de nombreux points à redire sur le rapport du DOJ, et nier par exemple qu’Apple a réussi à imposer l’iPhone par la qualité de son expérience utilisateur est un énorme raccourci.

Maintenant, cela fait plus de 15 ans que j’écoute régulièrement des podcasts, que je lis des articles et des tweets d’observateurs du monde Apple, et les mises en garde contre ces pratiques abusives ont été multiples. Depuis des années et des années. On alerte Apple sur son arrogance, on pointe du doigt les excès de zèle de la politique de l’App Store, on se demande si interdire à Amazon de vendre des livres numériques sur son app Kindle sans reverser 30% à Apple, quelque part, ça n’est pas un tout petit peu abusé ? Idem pour Spotify, idem encore récemment sur les services de cloud gaming.

Est ce qu’Apple aurait pu éviter d’attirer une cible gouvernementale sur sa tête si elle avait eu le Courage™ de ne pas systématiquement traiter ses partenaires comme des méchants profiteurs ? Est ce qu’en 15 ans, il n’aurait pas été possible d’assouplir un peu plus les conditions de l’App Store pour la jouer un peu plus finement ? Est-ce qu’on ne pourrait pas arrêter cette hypocrisie qui consiste à systématiquement se ranger derrière le bien être des utilisateurs et la protection de leur vie privée et de leur sécurité quand il s’agit quand même pas mal de protéger une vache à lait ? J’utilise un Mac depuis 2005 et je n’ai jamais eu l’impression de crouler sous les arnaques* et les malwares malgré le fait qu’on peut installer des applications hors de l’App Store. Les changements au niveau de la sécurité de macOS ces dernières années ont été plutôt bénéfiques, et je n’ai pas l’impression que le monde exploserait si on s’en approchait sur iOS. Nous ne sommes plus en 2008, et peut être qu’Apple aurait pu s’en apercevoir avant mars 2024.

*(Ah si : je me suis presque fait arnaquer récemment… à cause d’un phishing Gandi qui était passé à travers les mailles du filet, juste le jour où je devais renouveler mon domaine. Qu’est ce que j’utilise comme client déjà ? Ah oui, Apple Mail sur mon Mac et mon iPhone. Aucun des deux ne l’a bloqué.)


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