Arc est enfin disponible publiquement, sans invitation, sur macOS (Monterey et plus récent). Son éditeur, The Browser Company, entend repenser la façon dont on utilise un navigateur web, apportant « du confort, de la clarté et du calme », avec une interface personnalisable et censée anticiper nos besoins.
C’est une démarche intéressante même si elle n’est pas tout à fait inédite. Ce qui distingue Arc de tentatives précédentes, c’est sa confiance dans des choix affirmés, plutôt que d’offrir une multitude d’options.
Onboarding : intrusif mais sympa
Le processus d’accueil de l’utilisateur, le fameux “onboarding”, est intéressant à analyser ici. D’un côté, on a une application que tout le monde connaît et de l’autre, une conception soi-disant innovante de cette application, qui nécessite donc une mise en condition.
Arc y va à fond pour défier les attentes. Le premier contact est à la fois visuel et auditif, avec une musique et un fond d’écran apaisants, et un message : « Meet the internet again ». Ça peut paraître un peu excessif, mais ça établit la très forte personnalité du navigateur. On utilise des navigateurs web depuis bientôt 30 ans, et il faut marquer le coup pour donner envie d’en installer encore un autre qui va tout changer (car, spoiler : ça n’est évidemment pas le premier).
Manque de pot, dans les écrans suivants, Arc Browser va devoir être un peu moins calme et apaisant, car il s’agit d’exiger la création d’un compte, c’est ça aussi, redécouvrir Internet !
Mais The Browser Company sont des gens sympas, et l’écran est plutôt habile, avec un « tooltip » rassurant sur cette nécessité, non on ne collecte pas de données, oui on en a besoin pour synchroniser entre différents appareils.
Le petit « TL;DR : We don’t spy on you » en bas de la fenêtre pour inciter à ne pas se fader les conditions d’utilisation est un pas de trop pour la peine. J’avoue, je ne suis pas allé potasser les documents pour vérifier si c’était vrai, preuve que c’est efficace malgré tout !
La partie suivante de l’onboarding concerne l’importation des données depuis d’autres navigateurs, et là encore Arc va devoir faire quelque chose de pas sympa : demander de modifier les paramètres de sécurité de macOS pour autoriser l’accès complet au disque.
Un grand classique bien connu des utilisateurs d’antivirus. C’est bien expliqué, avec une capture, on sait quoi faire, où cliquer, ne vous inquiétez pas, tout va bien.
Même chose pour l’écran suivant destiné à importer les mots de passe. La démarche est bien décrite, le texte sans ambigüité sur le chiffrement des identifiants, il y a une belle zone de glisser-déposer et on propose même d’effacer tout de suite le fichier CSV.
Seul hic : au passage, l’utilisateur aura eu un avertissement de macOS sur les dangers d’exporter ses données Safari dans un CSV, où elles sont effectivement en clair. Comme pour les antivirus, on a un conflit. Qui croire : The Browser Company qui vous garantit que c’est sans risque, ou Apple ?
La partie pas sympa est terminée : on passe au fun avec la personnalisation du navigateur dont on peut changer le look de manière assez prononcée. L’interface, bien pensée, incite à l’expérimentation avec un curseur, un bouton rotatif et une palette dont on devine le fonctionnement sans savoir exactement ce que l’on fait. D’ailleurs je me suis vite rendu compte que mon panneau latéral avait beaucoup trop de paillettes (car, oui, on peut mettre des paillettes, enfin une texture !)
Les derniers écrans permettent de sélectionner des favoris (des onglets épinglés, quoi), d’activer ou non un adblocker et de faire d’Arc son navigateur par défaut.
Là encore le ton sympa et pas trop intrusif est bien pensé, et le bouton radio se transforme en petit cœur si on accepte. Je refuse pour le moment, Arc Browser va-t-il me laisser tranquille ?
Spoiler : non.
À la fin du processus, une carte de membre est délivrée. Ça ne sert strictement à rien, mais on peut la partager. Encore une petite touche de personnalité. Et il y a des confettis. Il y a FORCÉMENT des confettis.
Après l’onboarding, l’onboarding continue ! Commence alors la phase « Désolé de vous interrompre, mais avez-vous remarqué ce bouton ? ». Intrusif, mais bien fait et nécessaire. Et dans Arc Browser, il y a beaucoup de choses à découvrir !
Premier contact
La principale différence entre Arc et les autres navigateurs tient à sa gestion des onglets, et c’est évidemment un point crucial pour un navigateur web. Un point qui peut même fortement froisser les utilisateurs : on l’a vu avec l’annonce de Safari dans macOS Monterey en 2021.
Avec cette version, chaque onglet devient sa propre barre d’adresse. L’onglet actif prend l’essentiel de la barre d’outils, les autres étant de taille réduite. À priori, une idée plutôt ingénieuse qui permet d’économiser de l’espace. En pratique, l’implémentation pose deux problèmes. À mesure que les onglets se multiplient, leur taille se réduit, et distinguer l’onglet actif devient compliqué.
Apple a aussi eu l’idée “brillante” de brouiller la frontière entre l’interface et le contenu en permettant d’adopter la couleur de fond de la page visitée. À chaque changement d’onglet, la barre d’outils voit son contraste et sa lisibilité modifiées.
Vous ne savez même pas de quoi je parle ? C’est normal : les retours ont été si violents qu’Apple, sans faire complètement machine arrière, a enfoui ces nouveautés dans les paramètres de Safari. Ils sont toujours là, mais le comportement par défaut est revenu à la “normale”.
Alors comment Arc s’y prend-il pour innover dans la gestion des onglets ? En adoptant une disposition verticale. Et là, je dois logiquement entendre des utilisateurs de Vivaldi ou de Microsoft Edge s’offusquer. Mais enfin, les onglets verticaux, ça n’a rien de nouveau !
Certes non. En revanche, aucun de ces deux navigateurs n’impose ce choix, contrairement à Arc qui ne propose pas de disposition “classique », et cela inclut tout le « chrome »: la barre d’adresse qui fait également partie de ce panneau latéral, tout comme les boutons de navigation, les favoris, les signets et les onglets épinglés. TOUT est à la verticale.
Le panneau latéral se veut même optionnel : à tout moment, il est possible de le masquer pour laisser la place au contenu. On peut alors l’afficher en mode coulissant, et j’ai une petite critique sur ce point : il manque peut-être un indicateur visuel de cette possibilité. Un raccourci clavier existe : Cmd + S. Oui, CE raccourci clavier, qui n’est pas utilisé ailleurs dans le navigateur, la seule façon d’enregistrer une page web étant de passer par Cmd + Maj + S.
Les onglets dans Arc sont de trois types : les “normaux”, les épingles, qu’on ne peut pas fermer accidentellement, et les favoris qui se présentent sous la forme d’icônes en haut de la barre latérale. Si vous utilisez Microsoft Edge en disposition verticale, cette disposition rappelle celle des onglets épinglés.
Certains favoris profitent de fonctionnalités au survol de l’icône qui les rapprochent d’une app web : Gmail peut afficher les messages non lus, Figma les documents récents ou Google Agenda les événements à venir.
Une approche intéressante m’a à la fois déstabilisé et plutôt séduit : la frontière floue entre signets et onglets. Dans Arc, les signets importés de navigateurs comme Safari ou Chrome le sont sous la forme de dossiers. Lorsque vous ouvrez un site, il crée directement un onglet épinglé dans le dossier, plutôt qu’un nouveau « temporaire ». Au premier abord, c’est déconcertant, puis on s’y fait : l’idée a l’avantage de ne pas surcharger la barre.
Si un site comme Twitter ou Gmail est épinglé ou placé dans les favoris, les liens qu’il contient s’ouvrent dans une fenêtre pop-up que l’on peut fermer ou étendre.
Profils, espaces : le multitâche façon Arc
En téléchargeant Arc, je me suis demandé qu’est ce qu’il allait pouvoir m’apporter. Malgré ses défauts, je suis toujours globalement satisfait de Safari pour son respect de la vie privée, sa synchronisation parfaite entre macOS et iOS, et une fonctionnalité que j’utilise au quotidien : les groupes d’onglets, qui permettent de séparer les activités. J’ai créé des groupes spécifiques pour la rédaction, pour le design, il m’arrive d’en faire pour certains projets… Je n’imagine pas revenir à un navigateur “fourre tout”.
Cela dit, à y réfléchir, j’ai quelques problèmes avec les groupes d’onglets qui m’empêchent de les utiliser autant que je le souhaiterais, et j’ai l’impression que les versions successives de Safari ne font qu’ajouter des bugs ou des incohérences à cette fonctionnalité. Je me pose aussi la question de l’utilité d’un navigateur spécifique pour mes usages “pro”, et j’ai déjà essayé Vivaldi sans succès : trop complexe, trop personnalisable pour moi.
Arc Browser reprend cette idée des groupes d’onglets, appelés ici “Spaces” (le navigateur n’a pas encore de localisation en français). Un Space peut être créé facilement, on lui ajoute une icône ou un Emoji, et on peut alors séparer ses onglets selon les projets, et même disposer d’onglets épinglés différents. Rien de bien nouveau face à Safari, mais The Browser Company a soigné l’ergonomie des Spaces avec la possibilité de basculer entre eux avec des gestes au trackpad. Chaque Space a sn propre thème personnalisable.
Les Spaces sont un moyen de séparer les activités dans Arc Browser mais on peut être amené à les distinguer encore davantage avec les profils. Un profil permet de disposer de favoris, d’identifiants, de cookies, de moteur de recherche ou même de dossiers de téléchargements spécifiques.
Lors de la création d’un profil, Arc permet de choisir en quelques clics les Spaces qui s’y rattachent. L’intérêt principal est de pouvoir utiliser différents identifiants, par exemple son Gmail perso ou un compte Google Apps Pro, et des favoris distincts, les icônes qui s’affichent en permanence dans la barre latérale. C’est une bonne idée, là encore pas forcément originale, mais tellement pertinente qu’Apple s’en inspire déjà pour Safari dans macOS Sonoma.
À ce stade, je me dis que j’ai peut-être trouvé mon navigateur “pro”. En grattant un peu, je trouve encore quelques réserves qui m’empêchent de l’adopter définitivement.
Un arc pas tout à fait accompli
Depuis la sortie de la bêta sur invitation, tous les utilisateurs de Mac de mes cercles vantent les mérites d’Arc, affirment qu’il a changé leur façon d’utiliser Internet, qu’ils ne pourraient plus utiliser d’autre navigateur… Bon, j’entends, mais il y a quelques points qui me chagrinent encore un peu.
La première concerne les raccourcis clavier. Il y en a énormément, et c’est une bonne chose pour le côté “power user”… Si on aime les raccourcis clavier. Ce n’est pas mon cas. Je peine toujours à les mémoriser, et quand j’arrive enfin à le faire, je n’ai pas spécialement envie qu’un navigateur web prenne la main dessus.
Car des raccourcis clavier, on en trouve aussi dans les applications web. J’utilise régulièrement Google Documents, et comme j’écris dans Google Docs, j’ai recours à l’affichage du nombre de mots, qui s’active sur Mac par le raccourcis Cmd + Maj + C. Ce raccourci est “squatté” par Arc pour copier une URL. On peut simplement supprimer un raccourci clavier, et à vrai dire, je n’ai pas rencontré beaucoup d’autres conflits, mais c’est le premier navigateur qui m’empêche par défaut d’utiliser cette fonction dans Docs.
L’autre point, j’en ai déjà touché un mot plus haut : la “découvrabilité” parfois hasardeuse de certaines fonctions comme l’affichage de pages web en “Split View”, planqué derrière un survol de quelques pixels de large. La possibilité d’afficher deux pages web côte à côte ou l’une en dessous de l’autre est plaisante, mais à vrai dire, je n’ai même pas deviné de moi-même qu’on pouvait tout simplement glisser/déposer un onglet à l’endroit souhaité.
Je vais continuer à utiliser Arc régulièrement. On a encore un bout de chemin à accomplir pour s’apprivoiser. J’apprécie les choix effectués par The Browser Company, et le fait qu’il s’agisse de choix et pas simplement de possibilités supplémentaires offertes qui ajoutent de la complexité à l’expérience. Pour autant, je ne peux pas m’empêcher de penser que l’éditeur a un peu trop confiance en sa position d’acteur “disrupteur” qui espère que les utilisateurs vont voir la lumière et “redécouvrir Internet”. C’est une promesse ambitieuse, mais Internet est toujours là pour nous rappeler qu’il n’a pas beaucoup changé.
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