« Si vous voyez un stylet, c’est qu’ils se sont trompés », « les surfaces tactiles ne veulent pas être verticales », les citations de Steve Jobs ou d’autres cadres d’Apple pour justifier les positions parfois dogmatiques du constructeur ne manquent pas. Pourtant, on est en 2023 et j’ai toujours envie d’un Mac convertible, de manipuler des synthés et des clips audio au doigt, de dessiner et d’annoter directement sur mon écran, et de ne pas avoir à jongler entre 2 appareils à la séparation de plus en plus arbitraire.
Je suis designer et compositeur. J’utilise macOS comme principale plateforme depuis des années, et j’ai un problème, qui m’a même poussé à aller (re)voir si l’herbe n’était pas plus verte de l’autre côté. Et ce problème a un nom : « Mac tactile ». J’en veux un. Depuis des années. Effectuer des sélections avec un stylet. Déclencher des boucles avec mes doigts, sans avoir à recourir à une app « compagnon » pour ça. Manipuler des prototypes d’app directement, bouger des blocs, redimensionner des boutons, comme si je travaillais sur un prototype papier. Ca me semble naturel, mais Apple ne veut pas en entendre parler. Pour Apple, le Mac est le Mac et l’iPad est l’iPad. Et c’est d’autant plus frustrant qu’ils dansent autour depuis des années. Précisément depuis la sortie du premier iPad. Flashback.
Crédit : AstroPad
« Ca ne marche pas »
Nous sommes le 20 octobre 2010, et Steve Jobs s’apprête à faire deux annonces. La première est un coin de voile levé sur Mac OS X Lion un an avant sa commercialisation. L’événement s’appelle Back To The Mac, et on ne sait pas trop ce que ça signifie. On pense que c’est juste un retour à un focus sur le Mac, alors que la première moitié de l’année 2010 a été monopolisée par la sortie de l’iPad et de l’iPhone 4. C’est plus que ça : « Back To The Mac » est une philosophie dernière Lion, une boucle. Le Mac a apporté les fondations de l’iPhone (« It runs OS X »), puis de l’iPad. Et « Back To The Mac » signifie l’intégration de plusieurs concepts issus de l’iPad dans Mac OS X :
-L’arrivée du Mac App Store
-L’extension du plein écran
-Les gestes tactiles
Steve Jobs va-t-il sortir un MacBook Touch d’une enveloppe ? Pas du tout, c’est alors qu’arrive sa diatribe contre les écrans tactiles sur les ordinateurs portables. Rappel : on est en 2010, et Apple vient de dévoiler l’iPad, l’appareil « post PC ». On est aussi deux ans avant Windows 8 et la Microsoft Surface.
« Nous avons fait des tonnes de tests utilisateurs là-dessus, et on s’est rendu compte que ça ne marche pas. Les surfaces tactiles ne veulent pas être verticales ».
Et pourtant, quelques minutes plus tard, Steve Jobs va bien sortir « le futur des ordinateurs portables », un ordinateur qui répond à la question « Qu’est-ce qui se passe si un MacBook rencontre un iPad et qu’ils s’accouplent ? ».
Mais il ne s’agit pas d’un convertible. « Juste » d’un nouveau MacBook Air, annoncé avec une autonomie phénoménale (pour 2010), un trackpad confortable pour effectuer des gestes tactiles, et pour la première fois un SSD standard dans un Mac. Objectivement, un des meilleurs ordinateurs jamais sortis par Apple, et qui a complètement fait bouger les lignes de la catégorie. Mais c’est un Mac, et rien d’autre. Et si vous le mettez à côté des derniers MacBook Air, même du tout nouveau modèle 15 pouces annoncé à la WWDC 2023, le design est plus fin, l’écran d’une résolution beaucoup plus fine, et les ports ont changé de forme en 13 ans. Un Mac plus rapide, plus autonome et plus fin que jamais, mais qui me frustre toujours quand je suis à deux doigts de toucher l’écran avant de me rappeler : « ah mais non, c’est vrai, c’est un Mac ! ».
“An iPad. A Mac. Are you getting it ?”
Il y a deux façons d’aborder le problème. D’un côté, l’iPad étend ses capacités pour remplacer, à terme, le Mac. Et quelque part c’est ce que l’on voit avec les dernières évolutions de l’iPad. L’arrivée de la prise en charge des trackpads et souris, la commercialisation par Apple elle-même de deux claviers, et la fonctionnalité Stage Manager vont dans ce sens. Mais on le constate encore avec ce qui a été annoncé à la WWDC 2023 et un peu avant : on y vient, mais à petits pas.
Stage Manager apporte une conception très rigide du multifenêtrage. Selon les premières prises en main de la bêta – je ne peux pas confirmer à l’heure où j’écris cet article – iPadOS 17 apporte beaucoup plus de souplesse pour le placement des fenêtres. Mais elles restent sur des rails.
Pourtant, il n’est pas nécessaire de réinventer la roue en la matière. Microsoft l’a même pensé pour nous. Sans support d’une communauté de développeurs beaucoup plus fragmentée, et avec une plateforme mobile qui était déjà moribonde. Pour autant, l’idée de Surface, c’es celle-ci : partir du principe qu’une tablette n’est pas forcément un appareil distinct. Ça peut aussi être simplement un mode, une autre façon de l’utiliser pour en ôter la complexité, pour passer en mode « détente ».
Les applications « universelles » de Windows 10 étaient censées tourner de manière indépendante sur PC, tablette et smartphone avec différentes vues. La vue « smartphone » est même encore présente sur nombre d’apps système comme Courrier. Microsoft avait introduit pour la peine la fonctionnalité Continuum qui basculait du mode « tablette » au mode « PC » en connectant ou retirant un clavier. Cette idée a été reprise par Chrome OS qui offre le même fonctionnement. Sur un Chromebook en format tablette convertible telle que le Lenovo IdeaPad Duet 5, on peut travailler en mode « bureau » avec des fenêtres, ou passer en mode tablette en détachant le clavier. Et tout est redimensionné et placé librement sur le bureau, sans rails.
Cela dit, le fait que Stage Manager reste relativement simple et rigide ne me dérange pas tant que ça. Car j’en reviens toujours à la même idée : ce n’est pas à l’iPad de m’offrir ce que je veux. C’est au Mac. Le Mac peut exécuter des applications iPad. C’était la raison d’être de la technologie Catalyst, utilisée pour créer quelques-unes des apps système de macOS. C’est l’idée au cœur de Swift UI, et les Mac équipés d’une puce Apple Silicon peuvent même exécuter des apps iOS ou iPadOS. Ne reste que la volonté d’adapter le système et les applications au tactile. Pas une mince affaire, mais elle a peut être déjà commencée ! Avant la WWDC, Apple a annoncé Logic Pro et Final Cut Pro sur iPad, et ça pourrait changer plus de choses qu’on le pense.
Logic sur iPad : app « compagnon » ou avant-goût d’une refonte ?
L’existence de ces applications est une excellente nouvelle pour l’iPad comme pour le Mac. Final Cut n’étant pas dans mon domaine de compétences, je vais me concentrer sur Logic. L’idée principale est d’utiliser la tablette pour commencer un projet et le continuer sur Mac. Dans le cas de Logic, c’était déjà plus ou moins possible avec Garageband, mais pas avec la même flexibilité. Si Final Cut Pro se résume davantage à une « application compagnon » sans aller retour possible entre les versions Mac et iPad, du côté de Logic, on est en présence d’une vraie déclinaison qui permet de travailler directement sur ses projets, à condition bien sûr qu’ils n’utilisent pas de plug-ins tiers.
Potentiellement, c’est énorme : ça signifie concrètement que nombre de composants essentiels de Logic Pro sont retravaillés pour le tactile : la timeline, la table de mixage, l’égaliseur multibandes, les plug-ins d’effets, les « live loops », le piano roll, et plusieurs des instruments intégrés. Tout cela, demain, pourrait être disponible en tactile sur le « vrai » Logic Pro pour Mac. Et si l’idée d’emporter un projet avec moi sur un iPad pour avancer dessus me séduit, ça renforce surtout encore mon envie de tactile sur Mac.
C’est ce qui a fait switcher mon professeur de composition électroacoustique vers un Lenovo Yoga. Il souhaitait pouvoir utiliser directement en mode tactile des applications comme Usine Hollyhock sur laquelle il improvise dans ses concerts. Korg Gadget ou la version iPad de Garageband prouvent qu’une « DAW » en version 100% tactile peut être totalement utilisable. Les apps “compagnon” comme Ableton Link ou Logic Remote apportent un vrai plus, mais manipuler les clips, les effets, les instruments ou les courbes directement sur l’écran de l’application principale, pour le live comme pour la composition, c’est un rêve de producteur de musique électronique.
Il y a quelques semaines, je suis passé devant le ZenBook Fold d’Asus, un PC à « double écran » pliable. Le produit en lui-même est bourré de compromis et pas particulièrement confortable. Mais de voir ce grand écran tactile, la perspective d’utiliser Ableton Live, Photoshop ou un logiciel de prototypage comme XD ou Figma me paraît toujours aussi désirable. Et si je ne me vois pas basculer à temps plein vers Windows, parce que j’ai déjà essayé et que j’en suis revenu, je reste un converti au convertible, et convaincu qu’une version tactile de macOS serait tout à fait possible. AstroPad, les créateurs du Luna Display, se sont amusés à créer un concept d’un « MacBook Fold ». Dites-moi que ça ne vous fait pas envie !
Une Vision du futur ?
La sortie de Logic sur iPad n’est pas la seule chose qui me redonne de l’espoir. Les rumeurs d’un Mac convertible circulent depuis quelques mois, et il faut évidemment s’en méfier, mais la fumée s’étant intensifiée, ça n’est peut-être pas qu’une fausse alerte. Deux annonces de la WWDC 2023 sont également encourageantes. Avec la sortie du Mac Pro avec processeur M2 Ultra, la transition vers les processeurs Apple Silicon est achevée. Apple ne vend plus un seul ordinateur avec une puce Intel, et le logiciel va suivre : je ne donne pas plus de deux ans avant la sortie d’un macOS incompatible avec les Mac Intel. À ce moment, on peut penser que tout est permis et qu’Apple a les mains libres pour faire évoluer macOS dans des directions inédites, sans ce bagage à gérer.
Et il y a l’Apple Vision Pro. Je ne vais pas m’étendre sur le sujet, c’est trop tôt, je ne sais pas quand j’aurai la possibilité d’en essayer un ne serait-ce que quelques minutes, et le produit n’a encore aucune date de disponibilité en Europe, au point qu’il n’existe même pas sur le site français. Mais faire tout ce que j’ai évoqué au début de cet article en 3D, dans un environnement où je peux positionner les fenêtres et les plugins comme je le sens ? Là, on a un truc !
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